Notre fils Oscar (14 ans) est passionné de cartes pokemon.
Ca peut surprendre à cet âge-là, c’est comme ça.
Mais comprenons-nous bien. Il n’est pas passionné des cartes simplement en tant que collectionneur : il aime jouer.
En fait, c’est complexe, il y a toute une stratégie à développer, et on peut facilement y passer des heures… c’est le problème.
Le week-end, il se rend à des compétitions (ça ressemble aux lieux dans lesquels certains faisaient des jeux de rôle quand nous étions jeunes), et s’entraine pendant la semaine.
Et tout ceci avec succès : il est devenu champion régional de Puerto Rico (où nous habitons) !
Cependant, une passion, ça prend du temps !
Il y a environ… je dirais bien 3/4 mois, nous nous sommes trouvés face à une situation qui avait clairement débordé, et plus beaucoup de temps pour autre chose que les Pokemon…
Cela a donné lieu d’abord à pas mal de discussion entre Nicolas et moi, sur le thème : « Comment faire pour fixer des limites, sans aller contre notre fils ? »
Oui, sans aller contre notre fils. Parce que, ne nous faisons pas d’illusion : à 14 ans, s’il juge que notre règle n’est pas juste, il fera bien ce qu’il voudra. Nous n’avons pas de vrai moyen de « contrôle », même si c’était notre méthode éducative…
Ainsi, si nous décidions de simplement lui interdire de jouer pendant la semaine par exemple, il se débrouillerait pour le faire en cachette, quand nous ne le voyons pas. On l’encouragerait donc au mensonge, tout en nourrissant chez lui un sentiment de rancune contre nous.
Nous savons donc que nous marchons sur des oeufs.
Comment aborder les choses pour qu’elles soient claires, sans pour autant le braquer ?
Et c’est là la force de la parentalité positive : nous sommes dans son équipe. C’est notre attitude, celle qu’on cherche à adopter, et à développer, c’est donc ainsi que nous l’aborderons. Nous n’imposerons pas, mais nous influencerons, si nous le pouvons.
Un dimanche soir, donc, au retour d’un de ces tournois, j’aborde la question avec Oscar. (Nous avions prévu d’en parler ensemble Nicolas et moi, avec lui, mais les jours passent, et l’occasion ne se présente pas, alors nous avons décidé que je le ferai seule. Mais je sais que nous sommes en ligne sur la démarche.)
Je fais très attention de bien valider ses sentiments, afin de me connecter avec lui avant de pousser la réflexion. Pour qu’il m’écoute, j’ai besoin qu’il sache que je le comprends et l’accepte, d’abord.
Voici à peu près ce que ça a pu donner :
« Oscar, je voulais te parler des Pokemon. C’est une passion pour toi, et je suis franchement ravie de voir que tu as une passion. Visiblement, ça te procure beaucoup de joie, et, en plus, tu as su te développer et réussir, et j’imagine comme ça doit être satisfaisant !
Cependant, j’ai également observé que cette passion te consume quasiment tous tes moments libres. Tu lis beaucoup moins qu’avant, tu étudies moins, tu ne fais presque plus de piano… et je m’interroge : est-ce que c’est vraiment ce que tu veux ? »
La clef est là : le fond de l’affaire, ce n’est pas de lui dire que ce n’est pas bien, que nous ne sommes pas d’accord. Il a le droit d’avoir d’autres envies que les nôtres ! La question, c’est vraiment de l’inclure dans la démarche, de le mettre en face de lui-même. De ses propres choix. La solution ne réside pas dans le contrôle extérieur, mais bien dans l’auto-contrôle !
Je le vois pensif, et ouvert. Il m’écoute parce que mon ton n’est pas celui de quelqu’un qui juge, ou qui accuse. Je suis avec lui.
Je complète :
« Je pense que ce qu’il se passe, c’est que c’est très tentant. Evidemment, tu es devenu bon aux Pokemon, c’est un plaisir rapide et facile. Il est certain que se mettre à travailler ta chimie, ou ton morceau de piano, ça t’amène des résultats moins immédiats, c’est beaucoup plus fastidieux… Alors, il est tellement plus simple de sortir tes cartes que d’ouvrir le piano… Je comprends bien ça ! C’est naturel de se laisser tenter à ce qui est plus facile ! Mais je te repose la question : est-ce vraiment ce que tu veux ? Aimes-tu les Pokemon au point que tu veux y sacrifier tous tes autres intérêts ? Plus de piano, plus de lecture, plus de sciences ? »
Je vois bien qu’il y réfléchit honnêtement, et il admet facilement que non, en fait, ce n’est pas vraiment ce qu’il veut, et que c’est vrai que c’est juste tellement plus facile qu’autre chose…
Je conclus donc la conversation ce jour-là en lui disant simplement d’y réfléchir.
De réfléchir à l’équilibre qu’il voudrait atteindre, et qu’on pourrait en reparler.
Le lendemain, il vient spontanément me voir, et me dit :
« J’y ai réfléchi, tu as raison. Je ne peux pas jouer à Pokemon tous les jours et ne rien faire d’autre. J’ai décidé que j’allais jouer seulement le mardi, et un jour de week-end pour les tournois. C’est tout. »
C’est bien plus contraignant que ce que nous lui aurions fixé si nous l’avions décidé nous-mêmes, et pour être honnête, je doute qu’il puisse se tenir à si peu, mais je ne dis rien. C’est à lui d’en faire l’expérience.
Le mardi, donc, Oscar joue sans scrupule.
Le mercredi, non.
Le jeudi, manque de chance, il reçoit des cartes qu’il avait commandées… L’excitation prend le dessus ! Il ouvre le paquet, essaye de jouer avec. A ma remarque qu’on est jeudi, il répond qu’il ne peut pas ne pas essayer ses cartes avant le tournoi du dimanche !! Il jouera donc encore le vendredi… joue-t-il aussi le samedi ? Je ne me souviens plus.
Ce dont je me souviens, en revanche, c’est de notre discussion du dimanche.
L’avantage des trajets vers les tournois, c’est qu’ils nous donnent l’occasion de passer des moments en tête à tête, ce qui n’est pas si courant quand on a 4 enfants (en fait, c’est un peu notre moment particulier…).
De manière surprenante, compte tenu de la façon dont il l’a appliqué dans la semaine, c’est encore lui qui aborde le sujet :
« Alors, qu’est-ce que tu penses de ces nouvelles règles par rapport au temps de Pokemon ?
– Pour être honnête, je réponds, je ne sais pas ce que j’en pense : tu ne les as pas du tout suivies cette semaine…
– Oui, non.. mais c’est parce que j’ai reçu les nouvelles cartes jeudi !
– Peut-être, mais le fait est que c’est impossible de savoir ce qu’on en pense…
– Tu as raison. Bon. Je trouve quand même que ces règles étaient bonnes sur le principe, et je vais essayer de m’y tenir cette semaine. »
J’ai appris qu’il fallait laisser le temps aux apprentissages. C’est normal. C’est vrai pour nous autant que pour eux. Nous attendrons donc une semaine de plus.
Le lundi, tout va bien. Le mardi, comme prévu, il joue. Le mercredi, je vois Oscar avec ses cartes en main, et me contente de lui dire : « Oscar, on est mercredi. » Il les pose.
Le jeudi, idem. « Oscar, on est jeudi ». Il pose encore ses cartes, en soupirant un peu.
Je ne me souviens plus de la fin de la semaine, mais le dimanche, la conversation est un petit peu différente. Il a eu l’occasion de vraiment tester sa décision, et partage son expérience avec moi : « Bon. Je me suis rendu compte que seulement le mardi, ce n’était pas suffisant pour me préparer pour le tournoi du week-end. Et puis c’est trop difficile de ne vraiment rien faire d’autre de toute la semaine. Alors, j’ai décidé d’assouplir les règles. Ce sera mardi et vendredi. Et même un peu, mais pas trop, le jour du week-end sans tournoi. » Je ne dis rien. Mon rôle est terminé.
Cette fois, les règles sont suivies à la lettre. Il a trouvé son équilibre, et s’en déclare ravi le dimanche suivant !
Il aura fallu 3 semaines pour affiner sa limite, pour la tester, pour l’appliquer. Mais il y est parvenu. Seul. Et sans aucun conflit avec nous.
Je suis fière de nous, de la façon dont nous avons su remplir notre rôle de parents, et dont nous l’avons aidé à grandir, en le mettant en situation de maîtrise. (Cette expérience nous aidera d’ailleurs quelques mois plus tard, lorsque se présentera la question de l’étude du francais. Je vous en parlerai dans un prochain article…)
Il est fier de lui, et d’avoir su mettre en place ses propres limites.
Pour la petite histoire, et puisque j’écris cet article avec des mois de retard, je préciserai qu’aujourd’hui ces règles ne sont plus en vigueur. Parce qu’elles ne sont plus nécessaires. Oscar a retrouvé un équilibre, et joue toujours, mais laisse également de la place au reste. Il a appris à se limiter.
En terminant cet article, je pense de nouveau au fait que je ne crois plus au fait que l’adolescent se montre forcément rebelle. Je pense vraiment que cela dépend beaucoup de notre attitude en tant que parents. Quelle est notre position : sommes-nous contre lui ou dans son équipe ?