Pourquoi les récompenses sont inefficaces

J’ai déjà partagé avec vous auparavant l’opinion de Thomas Gordon sur la méthode traditionnelle de récompenses et punitions, telle qu’il l’a exposée dans Eduquer sans punir. Ce chapitre se focalise sur les récompenses, et creuse la question de leur efficacité ou plutôt de leur inefficacité. Gordon parle ici de récompenses en général, et de compliments en particulier.

– Moi qui ai justement un article sur les compliments en gestation depuis plusieurs mois, peut-être aurai-je enfin l’inspiration qu’il me faut pour le ressortir lorsque j’aurai terminé le résumé de ce chapitre ? –

Les récompenses, une banalité

Pour commencer, il est intéressant de noter à quel point l’utilisation de récompenses est répandu. Que ce soit en classe pour contrôler le comportement des plus jeunes, ou à la maison.

Dans la classe, tableau de récompenses, voire coffre au trésor sont là pour encourager les enfants à bien se comporter. Et j’en ai déjà observé le résultat néfaste chez mon fils de 6 ans

A la maison, il n’est pas rare que le dessert vienne récompenser les légumes avalés. Je sais ce que vous pensez en lisant cette dernière phrase. (« Mais je ne vais quand même pas le laisser manger le dessert alors qu’il n’a pas mangé les légumes ?! » ) Et cela vaudra la peine de revenir dessus, pour parler de la posture à adopter dans un tel cas, pour réussir à encourager notre enfant à manger lesdits légumes, sans pour autant passer par une négociation à la récompense type « Si tu manges bien tes légumes, tu pourras avoir un bon dessert. » Cela dépasserait cependant ce dont Thomas Gordon parle ici, et je vais essayer de rester centrée, si vous le voulez bien.

Pour que les récompenses soient efficaces – aspects techniques

Ici, Gordon entre dans les détails techniques, expliquant que l’éducation par la récompense doit suivre un mode opératoire particulier. 

Ainsi, il est important, lorsque l’on veut, par ce moyen, encourager un comportement, de réagir de manière immédiate lorsque ce comportement est adopté. 

De plus, il faudrait pouvoir garder une forte cohérence : récompenser systématiquement le comportement en question, et s’assurer qu’aucune récompense n’est obtenue lorsque le comportement est inadéquat. C’est ce que font les dresseurs d’animaux, et c’est à ce prix que l’éducation par récompense peut fonctionner. 

Dans la vie réelle, c’est bien plus difficile. Prenons l’exemple d’un enfant en classe, dont la maitresse veut récompenser le bon comportement.
Sera-t-elle toujours bien là pour le voir et réagir ? Ne va-t-il pas également recevoir la récompense du rire des copains lorsqu’il adopte certaines attitudes qui dérangent la maitresse ?
L’obtention de la récompense en fonction du comportement n’est donc pas constante et cohérente… et cela nuit à son efficacité !

Difficultés rencontrées

Comme, selon ce que nous venons de dire, la mise en place de ce système de manière systématique est quasi-impossible, les adultes qui y ont recours se retrouvent rapidement face à des difficultés… qui les amènent souvent à évoluer de la récompense à la punition !

Et lorsque ce n’est pas le cas, ils se heurteront alors au fait que pour que la récompense continue de séduire, il faudra qu’elle ait de plus en plus de valeur. Eh oui, sinon, l’effet s’affaiblit avec le temps. D’ailleurs, même quand la valeur de la récompense augmente en fait, l’effet s’affaiblit avec le temps.

On peut alors arriver à cette situation absurde dans laquelle l’absence de récompense est interprétée comme une punition. Et on ne s’en sort plus !

Quand le seul but de l’enfant est la récompense

Voilà le coeur de l’affaire. La récompense est un mode d’encouragement via évaluation externe plutôt que motivation interne. 

Or, comme le soulignait Celine Alvarez lors de sa conférence, comme nous l’avions également évoqué avec le piège des récompenses, le plaisir de l’acte pour l’acte disparait lorsque la motivation est purement externe.

Pire encore, non seulement l’enfant perd son enthousiasme et sa motivation, mais il risque d’avoir sans cesse besoin, pour avancer, d’une évaluation externe dont il s’est mis à dépendre.

En fait, l’enfant perd le plaisir de l’acte que l’on récompense, mais pas du jugement de l’autre, qui devient indispensable.

NOTE : Ici, comprenons bien que les compliments sont directement considérés comme des récompenses. 
(Pour ceux d’entre vous pour lesquels cette idée est nouvelle, je vous encourage, en attendant que j’en sorte un nouveau, à lire mes premiers articles à ce sujet, même s’ils datent un peu : d’autres manières d’encourager dans Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, et une illustration du fait que « bien », ce n’est pas assez bien dans Parents épanouis, enfant épanouis.)
Ce chapitre traite d’ailleurs également des compliments en tant que tels, et j’en reprendrai les grandes lignes dans un autre article, parce que cela vaut la peine de s’y attarder.

Un mot sur la compétition

Quand on creuse cette question de récompenses, de motivation externe, on dérive assez naturellement vers une vraie réflexion autour du système scolaire tel que nous le connaissons, et en particulier de l’usage des notes.

Car faire étudier l’enfant avec pour but central d’obtenir de « bonnes » notes, ou en tout cas, des notes qui seront qualifiées de bonnes lorsque nous les comparerons à la moyenne, c’est créer justement une motivation externe.

J’ai soulevé cette question hier au diner familial. Mon fils Oscar (15 ans) opine que la compétition permet de donner le meilleur de soi-même. C’est possible. Cependant, certains opinent, comme André Stern, que le meilleur engrais du cerveau, c’est l’enthousiasme. Or, si la motivation externe tue le plaisir de la tâche elle-même, alors comment cultiver l’enthousiasme de l’apprentissage ??
J’ai hâte, pour creuser cette question, de lire le nouvel ouvrage de Catherine Gueguen : Heureux d’apprendre à l’école, dont je ferai un commentaire sur le blog, évidemment(Si vous avez trop hâte de voir les commentaires des autres, en voici déjà le lien)

En tout cas, la position de Thomas Gordon sur ce point est très claire, puisqu’il choisit d’inclure dans ce chapitre la citation suivante :
« Nous détruisons la passion désintéressée d’apprendre qui est innée chez les enfants et se montre si forte quand ils sont petits, en les encourageant au travail avec des récompenses mesquines et méprisables, telles que médailles d’or, bons points, tableaux d’honneur, mentions diverses, listes de mérites, etc. Bref, pour avoir l’ignoble satisfaction de se sentir meilleur que les autres. » (Holt, 1968)

Je vous laisserai sur cette citation, pour la digérer, et me dire ce que vous en pensez en commentaire si le coeur vous en dit, parce que je pense qu’à elle-seule, elle mérite un débat !

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2 réponses
  1. Marie-Alix Hoffner
    Marie-Alix Hoffner dit :

    Très amusant de tomber sur votre article aujourd’hui… Nous vivons aux USA, notre dernier de 6 ans est scolarisé à la maison pour plusieurs raisons après avoir commencé l’an dernier dans le système public local mais en immersion française.
    Nous envisageons un déménagement vers l’Europe dans quelques mois.
    Cette nuit, ma réflexion portait sur le système français tel que je l’ai connu et que nous le pratiquons actuellement par correspondance…
    Je ne suis pas sûre de souhaiter à mon fiston d’être 100% immergé dans ce système de notes!
    Les aînés ont eu la chance de découvrir à l’école (système US en Chine) le plaisir d’apprendre et l’automomie dans l’appremétissage. Cela leur a réussi très bien malgré leurs deux profiles bien différents, l’une est à l’université dans un autre pays et le second prépare ses candidatures pour l’an prochain…
    Je me demande ce à quoi nous pouvons nous attendre au niveau de l’éducation en cas d’installation en France… Durant la nuit, j’ai même pensé consulter votre blog pour voir où et comment vous interveniez!
    C’est vrai que nous pensons aussi continuez éventuellement l’école à la maison pendant encore un temps pour voyager et ne pas perdre des acquis. Je souhaite aussi renforcer encore l’indépendance d’esprit et la capacité à faire des choix judicieux pour soi (et non en fonction des copains ou en réaction aux demandes). Je souhaite continuer à cultiver le goût du travail bien fait et de la satisfaction que l’on peut avoir en le faisant voire la joie d’avoir réussi à relever un défi, savoir se fixer des objectifs sains et validables, gérer le temps sans être toujours gouverner par des adultes (on peut apprendre jeune par l’expérience… bonne ou mauvaise! Pas besoin de conséquences supplémentaires que celles qui sont logiques et naturelles dans bien des cas…
    Je suis contente d’avoir sorti notre fils du système des bons points et de la boîte aux trésors. Il y a eu un temps de sevrage de plusieurs semaines mais, maintenant, nous célébrons les fins de trimestre (et autres événements de la vie scolaire) par le choix d’une activité familiale (chez nous, franco-québécois en NC, le patin à glace est apprécié!)

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    • Coralie
      Coralie dit :

      J’adore votre témoignage ! J’ai mis du temps à y répondre, et il correspond tellement à mes préoccupations du moment, et à notre décision justement de passer en école à la maison…
      Quel plaisir de voir nos enfants motivés par l’activité elle-même, par l’apprentissage, par le processus, et non par la récompense finale !

      Répondre

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