Désamorcer la dispute (entre les enfants)
Il arrive qu’une situation anodine se transforme en lutte de pouvoir, et donc en dispute, alors qu’elle pourrait être gérée complètement différemment si on avait la possibilité de prendre un peu de recul…
C’est une compétence qui se développe, et cette anecdote vécue vous montre comment on peut faire ça, relativement facilement.
Ça ne marchera peut-être pas à tous les coups, mais ça vaut la peine d’avoir cette méthode dans sa besace !
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Si vous préférez lire, en voici également la retranscription.
Bonjour les parents qui cheminent.
Aujourd’hui, je voudrais vous raconter une petite anecdote qui illustre bien comment on peut facilement passer d’une circonstance assez simple du quotidien à une lutte de pouvoir, et comment on peut s’en sortir.
D’une situation banale à une situation d’opposition
La situation de départ
On était dans le salon. C’était le week-end dernier, avec mes deux plus jeunes garçons, qui ont 12 et 9 ans, Léon et Anatole. Chacun avait son activité. Anatole était en train de lire, moi aussi, et Léon était en train de faire de la guitare.
Et alors, quand Léon joue de la guitare c’est relativement envahissant, car il joue relativement fort, mais en plus, là, il était en train de chercher les accords d’une chanson… Donc, il chantait la chanson et mettait des accords dessus qui n’allaient pas forcément avec, puisqu’il était en pleine recherche du bon accord, et ce n’était pas forcément harmonieux, puisque les accords qu’il utilisait ne collaient pas à ce qu’il chantait.
Donc, au bout d’un moment, Anatole se sent gêné, perturbé, dérangé (on peut utiliser plusieurs termes pour ça…), et il se tourne vers son frère et lui dit : “Écoute Léon, tu peux arrêter de jouer de la guitare s’il te plaît, je n’arrive pas à lire.”
L’escalade
En fait, je n’ai pas vraiment assisté au tout début.
Donc, cette phrase que je viens de vous citer, c’est moi qui l’invente, parce que j’étais moi-même dans ma lecture, je n’y ai pas prêté attention.
Mais ce que j’ai entendu, c’est qu’en moins d’une minute, on s’est retrouvé dans une opposition, un ton qui commençait à se tendre, peut-être pas encore à monter, mais en tout cas à se tendre…
Anatole disait à Léon : “Écoute, ici, c’est l’espace commun. Tu ne peux pas faire du bruit et déranger les autres. Si tu veux faire de la guitare fort, tu n’as qu’à le faire de ton côté. Va dans ta chambre !”
De son côté, Léon était en train de dire à son frère : “Non, ben écoute, ici, c’est l’espace commun. Tu ne peux pas m’empêcher de faire de la guitare. Si tu veux du calme, tu n’as qu’à aller trouver un autre endroit. Va dans ta chambre !”
Grosso modo, on en était là.
Petite analyse de la situation
Chaque point de vue se défend
On voit qu’on est dans une opposition de point de vue clair. C’est intéressant parce que chacun de ces points de vue se défend en fait.
Il n’y en a pas un qui a plus raison que l’autre sur le fait que “c’est l’espace commun, donc il faut qu’il n’y ait pas de bruit”, ou que “c’est l’espace commun, donc je dois supporter le bruit de l’autre et c’est à moi de m’isoler”.
Chacun de ces points de vue se défend.
Et ça, ça rejoint quelque chose que j’aime bien essayer de faire passer à mes enfants, c’est qu’il y a toujours différentes perspectives sur une situation.
Et donc la phrase que j’aime répéter, c’est : “Ce n’est pas parce que j’ai raison que tu as tort.”
En fait, on se retrouve souvent dans des situations de vie dans lesquelles chacun a raison, avec son histoire, sa perspective, sa façon de ressentir les choses, son regard en fait, avec ses lunettes à lui.
D’ailleurs, on utilise parfois cette expression : “avec mes lunettes”.
Lutte de pouvoir
Donc, chacun des deux a son point de vue.
Chacun des deux a raison d’un certain côté.
N’empêche que leur point de vue semble irréconciliable, puisque l’un comme l’autre est bloqué sur une stratégie qui est que l’autre aille dans sa chambre.
Et surtout, on se retrouve dans une situation – et c’est ça que je voudrais mettre en avant – dans laquelle, c’est en train de se transformer en lutte de pouvoir.
En effet, chacun est ancré dans sa posture : “moi je reste et toi tu pars”.
Donc, imaginons que l’un des deux adopte une attitude pacifiste. Que l’un décide de partir, c’est-à-dire de dire : “Oui, tu as raison. Je n’ai pas envie de déranger. Je vais aller faire de la guitare ailleurs.” ou à l’inverse, “Oui, tu as raison. Je ne vais pas t’empêcher de faire de la guitare. Je vais aller lire dans ma chambre.”
Chacune de ces attitudes pourrait, à ce moment-là, être interprétée comme “je cède, j’ai perdu”.
Et comme on est dans une ambiance sociétale dans laquelle on est justement beaucoup dans le : “je vais gagner contre l’autre, c’est lui qui va céder ...”, on rentre facilement dans ces luttes de pouvoir-là.
On se retrouve, du coup, un peu piégé à vouloir montrer qu’on a ce pouvoir, le montrer à l’autre ou à soi-même, ne pas vouloir être “le perdant”, et donc se retrouver bloqué.
Et c’est comme ça qu’on persiste dans des luttes de pouvoir dans lesquelles, en réalité, aucun des deux ne sort gagnant, parce qu’aucun des deux n’a envie d’un conflit au départ.
Et même si on finit par gagner, ça passe par le conflit, donc c’est un peu dommage.
Le chemin pour s’en sortir
Donc l’idée, c’est d’ouvrir un petit peu les horizons en arrivant à faire passer le message explicite ou implicite, comme vous allez le voir, qu’il y a d’autres voies, en fait. Et l’autre voie pour exercer son pouvoir sans être dans cette dynamique gagnant-perdant, c’est justement d’utiliser une sorte de gagnant-gagnant, c’est-à-dire dans la coopération.
En fait, quand on arrive à trouver des solutions ensemble, à coopérer, à fonctionner en groupe, on est aussi en train d’utiliser son pouvoir. Et on est en train d’utiliser son pouvoir AVEC l’autre plutôt que CONTRE l’autre.
Et c’est hyper chouette de se retrouver dans ces situations-là !
C’est ça que j’ai envie d’apporter à mes enfants.
Et en tout cas, ce sont des valeurs auxquelles on croit très fort dans l’éducation positive : le fait de passer à des relations de coopération.
Comment résoudre une lutte de pouvoir : étape par étape !
Observer pour intervenir de manière adéquate
Dans ce cas précis, je lève donc la tête et je vois que mes garçons commencent à être dans une lutte de pouvoir.
À ce moment-là, le ton n’est pas trop monté, donc ils sont encore en mesure d’entendre ce que je vais dire.
Sinon, s’ils étaient en train de se hurler l’un sur l’autre, de toute façon, ils ne seraient pas en mesure d’aller plus loin et éventuellement réfléchir à des solutions.
Donc, je leur dirais plutôt de faire une pause et qu’on en parlerait plus tard.
Mais sur le coup, ce n’est pas encore débordant, donc je peux directement intervenir et dire :
“Attendez les garçons, j’ai l’impression que vous êtes en désaccord là, c’est ça ? Donc, ce que j’entends, c’est que toi, Anatole, tu aimerais bien pouvoir lire dans le calme et que la guitare te dérange. Et que du coup, tu considères que comme c’est l’espace commun, il ne faudrait pas que Léon envahisse trop cet espace commun avec le bruit de sa guitare, c’est ça ?
- Tout à fait !
- OK. Et toi, Léon, ce que j’entends, c’est que tu as envie de faire de la guitare et que comme tu es dans l’espace commun, tu considères que si Anatole trouve que la guitare le dérange trop, il n’a qu’à ne pas rester dans cet espace commun, c’est bien ça ?”
- c’est ça !”
Voilà.
Vous voyez que quand je dis ça, en fait, je n’ai rien dit de plus que ce qui s’était déjà dit. Donc, on pourrait penser que cette phase-là, elle ne sert à rien. Mais en fait, ce dont je m’assure en faisant ça, c’est de deux choses différentes :
- La première, c’est que je m’assure que chacun se sente entendu dans ce qu’il a dit.
Parce que quand on est dans la lutte de pouvoir, il y en a un qui dit un truc, et l’autre, il ne lui dit pas “Ah, toi, tu penses que tatata… Ah oui, mais tu vois, moi, avec mon point de vue et ma perspective, tatata…”, ce qui serait exactement l’attitude à adopter si on voulait bien faire passer le message que ce n’est pas parce que j’ai raison que tu as tort.
Donc, on recevrait ce que dit l’autre et on dirait “Regarde, j’ai une perspective différente”, mais cela ne remettrait pas en cause sa perspective.
Alors que dans la façon la plus classique de communiquer, on est tout de suite dans l’opposition. Donc, on n’entend même pas, ou du moins, on ne reçoit même pas ce que nous dit l’autre.
Donc, quand je reformule comme ça, ça me permet d’être sûre que chacun est reçu dans ce qu’il a dit.
- Et le deuxième point, c’est que ça me permet de m’assurer que chacun des deux a aussi entendu le point de vue de l’autre, justement.
Parce que parfois, on réagit trop vite.
Donc ça, c’est déjà le reposer un peu, décrire le problème en tenant compte de chacun.
Leur redonner la main
Et puis, à ce moment-là, on va passer à la phase suivante qui est : “Ok, qu’est-ce qu’on pourrait trouver comme solution ?”
Ça, c’est ma question. Moi, je pose juste la question.
Je ne suis pas en train de dire : “Ok, dans ces cas-là, on va faire comme ça.” en leur apportant MA solution.
Peut-être que dans une certaine phase et avant que les enfants aient l’habitude de trouver leur propre solution, on va le faire un petit peu plus.
Moi, mes enfants, ils sont un peu rodés à cet exercice, théoriquement en tout cas.
Et c’est ce que j’accompagne les parents à faire dans la formation En finir avec les disputes dans la fratrie.
Il y a tout un processus pour accompagner vos enfants à aller vers des démarches de recherche de solutions, pour qu’ils sachent faire ça.
Moi, je leur dis à ce moment-là :
“Qu’est-ce que vous pourriez trouver comme solution ?”
Et évidemment, les premières solutions qui sortent (c’est naturel) ce sont celles qu’ils ont déjà évoquées, c’est-à-dire qu’Anatole me dit que Léon n’a qu’à aller faire de la guitare dans sa chambre, et Léon me dit qu’Anatole n’a qu’à aller lire dans sa chambre.
Après, il y a d’autres alternatives qui pourraient apparaître (qui me viennent à moi) parce que la chambre de Léon est plus loin de l’espace commun. J’aurais pu lui suggérer d’aller par exemple dans mon bureau.
Mais à ce moment-là, j’aimerais bien d’abord voir si eux, ils n’ont pas d’autres idées. Donc, je ne le leur suggère pas et je répète seulement :
“Ok, oui, Léon pourrait aller dans sa chambre, d’accord.” Donc, c’est Anatole qui dit ça. Léon dit : “Oui, ou bien Anatole pourrait aller dans sa chambre.”
“Ok, Léon pourrait aller dans sa chambre, Anatole pourrait aller dans sa chambre, Ok. Quoi d’autre ?”
Là, évidemment, il y a un blanc, puisque pour l’instant, ils ne voyaient que ces deux solutions-là. Et là, on comprend bien pourquoi on est en lutte de pouvoir, puisque comme il n’y a que ça qui leur vient spontanément au départ ! Forcément, ils sont en opposition, puisque ce n’est pas compatible pour eux de rester tous les deux !
“Et donc, quoi d’autre ?”
Les idées arrivent
Alors, après cette petite pause, pendant laquelle ils réfléchissent effectivement, Anatole dit : “Peut-être qu’il pourrait jouer de la guitare moins fort ?”
Première réaction de Léon : “Non, la guitare, on la joue, ça ne se joue pas moins fort.”
Anatole dit “Si, en grattant un peu moins fort sur les cordes.”
Ok, du coup, je me tourne vers Léon, je lui dis : “Est-ce que tu voudrais essayer ?” Alors, Léon essaye de refaire ce qu’il est en train de faire en grattant un peu moins fort.
Je me tourne vers Anatole, je lui dis : “Ça te convient comme ça ?”
Anatole dit : “Oui, c’est ok !”, et, immédiatement, repart dans sa lecture.
Léon s’essaye encore un petit peu là, pendant 10-15 secondes, et je lui dis : “Et toi, ça te convient comme ça ?” Il me dit : “Oui, c’est ok.” Et hop, il continue sa guitare.
Et on se retrouve à rester !
On est restés, je ne sais pas, au moins 20 minutes de plus, tous les trois dans cet espace commun. Anatole et moi en train de lire, Léon en train de faire sa guitare, tout en surveillant de ne pas la jouer trop fort. (Il y a même eu un moment où il s’est re-laissé aller un petit peu, à monter un peu le son, il s’en est rendu compte, il a re-diminué.)
Et où, finalement, on est tous restés ensemble, harmonieusement.
C’est magique
Je trouve ça assez magique de voir, comme dans certaines circonstances, il est facile, en fait, de sortir d’une lutte de pouvoir qui semblait bloquée, en ne faisant que faire un pas en arrière pour re-décrire la situation, et en disant : “Qu’est-ce qu’on peut faire et quoi d’autre ?”
Parce que c’est ce que je dis souvent aux parents quand je parle des disputes dans la fratrie, et c’est ce qu’on voit dans la formation En finir avec les disputes dans la fratrie, c’est que très souvent, la raison de la dispute, c’est que c’est la meilleure stratégie qui leur apparaît à ce moment-là, parce que parfois, c’est la seule, et parfois, ils en voient des pires, comme de se taper dessus, par exemple.
Donc la dispute à ce moment-là est la meilleure stratégie qui leur apparaît. Et parfois – pas toujours, et ça dépend de l’entraînement qu’ils ont dans la démarche, évidemment, mais parfois – il suffit d’ouvrir la question sur la possibilité qu’il y ait un autre chemin pour qu’ils trouvent ce chemin-là, qu’ils l’empruntent, et que tout se calme.
Voilà, donc si tout ça vous inspire, je vous encourage évidemment à aller faire un tour sur la page de ma formation En finir avec les disputes dans la fratrie pour en savoir plus, et pour vous inscrire si vous voulez apprendre à faire la même chose avec vos enfants.
Et dans tous les cas, je vous encourage à mettre ça en place avec vos enfants la prochaine fois que vous sentez qu’il y a une tension qui vient, avant que ça n’explose, sinon ils ne sont plus en mesure de faire ça. Attention à ça, et à l’accueil des émotions dans ces cas-là !
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