Le respect de l’enfant… une notion toute relative
Je pense que dans le principe, personne n’oserait dire qu’il est contre le fait d’instaurer une relation de respect avec son enfant. La question est plutôt : qu’entendez-vous par respect ? Le respect de l’adulte, et le respect de l’enfant.
Ce n’est pas une question anodine.
D’une part parce qu’en fait de question, c’est plutôt un éventail de questions, dont la portée est immense.
D’autre part parce qu’en fonction de notre ressenti face aux différentes facettes de cet éventail, c’est notre conception même de l’éducation qui peut varier.
Le respect est donc au coeur de l’interrogation du rôle de parent.
Un mot que nous n’avons pas peur d’introduire lorsque nous parlons de parentalité positive, même s’il va à l’encontre des schémas reçus.
Première facette de l’éventail : le respect, à sens unique ?
Commençons déjà par écarter de notre réflexion cette conception bancale, celle du respect à sens unique.
Oui, certains adultes n’hésitent pas à parler de respect quand ils réclament en réalité le respect de l’enfant envers les adultes, et non le contraire.
Et encore… si par respect de l’adulte, ils se limitaient au concept du privilège de l’âge, ce pourrait être partiellement recevable : chacun de nous le vit même en tant qu’adulte. On exprimera des formules respectueuses envers des personnes âgées, on leur cédera nos places dans le bus, et c’est une forme de respect.
Mais au delà du “merci madame” qui est attendu de l’enfant, il n’est pas rare de constater qu’un adulte qui demande le respect de l’enfant demande en fait surtout son obéissance, ce qui est tout autre chose, n’est-ce pas ?
Chacun son point de vue sur la question. De mon côté (et c’est parfois épuisant), comme je l’ai déjà écrit ici, je ne veux pas d’enfants obéissants.
Je peux comprendre que ce ne soit pas l’avis de tous, mais qu’au moins, personne ne joue sur les mots : le respect, ce n’est pas l’obéissance.
Enfin, pour en revenir au point de départ de cette facette, lorsque nous demandons le respect de l’enfant, sommes-nous prêt à le respecter en échange ?
Acceptons-nous réellement la notion de respect mutuel ?
Voilà bien le coeur de cette première facette de la question. Le respect mutuel.
Pas de traduction hâtive : nous restons l’adulte, et aurons de ce fait un rôle de guide. Mais nous enseignerons avec respect, nous écouterons, nous compatirons. Et cela changera tout à la dynamique de notre relation.
Deuxième facette de l’éventail : la mise en pratique dans le dialogue
Imaginons à présent que nous soyons arrivés à la conclusion que nous cherchions effectivement à mettre en place une relation mutuellement respectueuse avec notre enfant.
Alors, nous arrivons à la deuxième facette de cet éventail : le mettons-nous réellement en pratique ?
Dans Elever nos enfants avec bienveillance, Marshall Rosenberg (fondateur de la CNV – Communication Non Violente) raconte que lors des ateliers de CNV, ils commencent souvent par l’exercice suivant. Ils séparent le groupe en deux, et demande à chaque sous-groupe d’écrire un dialogue autour d’une altercation.
Les deux groupes ont le même scénario, à ceci près qu’un groupe imagine s’adresser à un voisin, l’autre groupe à un enfant. Les groupes n’ont pas conscience d’avoir des interlocuteurs différents au moment où ils confrontent leurs dialogues imaginaires. Il en ressort que le dialogue adressé à un enfant est systématiquement moins respectueux que celui qui s’adresse au voisin.
Ainsi, l’enfant est, dès le départ, moins respecté. Par principe, presque. Par principe inconscient, du moins. De quoi nous aider à ouvrir les yeux, non ??
Je sais ce que certains d’entre vous pensent, parce que je l’ai moi-même pensé. S’il est vrai que nous parlons parfois à nos enfants d’une manière avec laquelle nous ne parlerions jamais à nos copains, c’est aussi parce que nos enfants ont parfois un comportement que n’auraient jamais nos copains !! C’est vrai. Ca explique probablement qu’on se laisse parfois déborder…
Cependant, l’expérience décrite par Marshall Rosenberg montre que cette notion s’est tellement insinuée en nous que, parfois, nous n’essayons même pas.
Soyons attentifs.
Troisième facette de l’éventail : conserver le respect que nous avons pour notre enfant
Je fais ici un saut en avant, me plaçant dans le cas du parent “bienveillant”, qui a réfléchi à la question, et cherche bien à respecter son enfant.
Il écoute ses émotions, il les reçoit, il lui donne des choix, il cherche à ne pas imposer…
Seulement, parfois, il a beau faire, rien n’y fait. Il s’entête, et parvient finalement au point de bascule, celui où tout le respect s’envole et disparait derrière la colère !
Ca m’arrive aussi, bien sûr. Alors, comme beaucoup d’entre vous, j’y ai réfléchi.
Je pense qu’il vaut mieux parfois être ferme et clair sur le fait que le choix n’existe pas, avant d’atteindre ce point de non retour. Ne pas le mettre nous-même dans une position où nous ne ressentons plus de respect pour lui !
Pour illustrer ce point, je reprendrai l’exemple simple de ma copine Gwen (une femme inspirante, qui suit aussi le chemin de la parentalité positive avec courage, publiant en particulier chaque semaine un résumé de ces moments réussis, toujours inspirant. Pour lire celui qui contient cet exemple, c’est ici.)
Je le rapporterai simplement comme elle l’écrit :
Au parc, après une matinée difficile. Il est temps de rentrer.
« F., je vois que tu t’amuses. Mais c’est l’heure de rentrer.
– Noooon.
-Je vais chercher E., ta draisienne est près du portillon.
– Nooooon.
-J’avance et tu me rejoins. »
Je ne rajoute pas un mot, tourne les talons, et avant même que j’aie franchi le portillon, F. est à côté de moi, draisienne à la main. Ouf.
Ce que j’aime dans cette histoire : Gwen a su exprimer ses attentes simplement, validant le sentiment de son fils, puis donnant les informations utiles, sans se laisser prendre dans une négociation qui l’aurait épuisée et l’aurait probablement empêchée de continuer à traiter son fils avec tout le respect qu’il mérite, soit à ce moment-là, soit un peu plus tard.
Parce qu’à force, on ne va pas se mentir, on s’épuise…
Quatrième facette : lui donner l’opportunité de tenir compte de l’autre
Ce sera mon dernier point, mais peut-être le plus subtil, et le plus essentiel : respecter l’enfant, c’est avoir confiance en lui pour nous respecter aussi. Et pour cela, ne pas hésiter à lui donner l’opportunité de tenir compte de l’autre.
Cela passera par le partage de nos sentiments, et de nos besoins, pour qu’ils puissent y répondre. Ce qu’ils feront fréquemment. J’ai confiance. Sans qu’on le leur impose.
Dr Alison Gopnik a mené une expérience intéressante avec des crackers et des brocolis, démontrant que les enfants, dès 18 mois (pas avant en revanche) sont capables de répondre au besoin de l’autre, même s’il est opposé au leur. (expérience décrite dans cet article, ou à voir ici sur youtube).
Je l’ai moi-même constaté depuis que j’adopte cette approche pour encourager l’enfant à dire merci.
Ainsi, je respecte également mon enfant en lui proposant de me respecter, le préparant à vivre non pas seul, mais dans une société, une société composée d’individus avec des ressentis et des besoins différents. Je respecte suffisamment mon enfant pour attendre de lui le respect que j’attends de mes pairs. Et lui en offre l’occasion.
Alors, je pourrai lui demander plutôt que d’ordonner, sans crainte qu’il n’y prête aucune attention, parce que mon bien-être comptera pour lui également, comme le sien pour nous. Cela ne signifie pas qu’il répondra positivement à tout. Parfois, son besoin sera plus fort. Comme le nôtre en d’autres circonstances. Mais il prendra la décision en prenant également mon point de vue en compte.
Je me souviens de l’anecdote d’une maman illustrant ce point. Après notre journée d’atelier, au lieu de se battre comme d’habitude avec ses filles pour partir à l’heure, elle leur a dit : « je n’aime pas arriver en retard. ». Et les filles se sont préparées sans histoire. En fait, elle ne leur avait jamais auparavant donné sa propre perspective des choses. Ses filles ne se doutaient même pas que c’était à son propre besoin que leur mère répondait en les houspillant pour qu’elles se préparent plus vite.
Ayons confiance en eux. Respectons-les suffisamment pour cela !
C’est marrant, depuis ton article sur le « dis merci! », j’essaye de changer, mais c’est vrai que ce n’est pas facile. Parce que d’une part il y a l’habitude et il y a aussi le fait que si je ne veux pas que ma fille dise merci de manière automatique, je n’ai pas non plus envie qu’elle le fasse pour faire plaisir (à moi, à son père, à la dame..). J’ai envie qu’elle comprenne que c’est un code social de respect justement. De la même manière, en ce moment je me bats un peu pour qu’elle comprenne que plus elle grandit, moins il est admis socialement de demander les choses de manière abrupte. C’est un manque de respect. Du style hurler « Mamaaaaaan, je veux ça! (sous entendu, « tout de suite »)…euh, non,dans les relations humaines, on ne demande pas les choses comme cela…
Par contre, et je crois que j’en ai déjà parlé, je ne la force jamais à embrasser quelqu’un qu’elle ne connait pas ou vers qui elle se sent timide. C’est respecter son corps et lui apprendre que personne n’a le droit de demander de force des bisous si elle ne le désire pas.
A propos de ton exemple sur les collègues, je dois humblement avouer que j’ai parlé à des collègues ou à des employés de service divers d’une manière très enfantine voire infantilisante. Dans mon pays de résidence, tu es confronté à des personnes qui ont un niveau d’éducation (et d’autonomie…) si bas que tu finis par leur parler parfois comme à des enfants, en leur expliquant les choses, en faisant presque de l’éducation positive avec eux. On est loin des méthodes managériales de type école de commerce!
Encore une super article, Coralie!
Ça m’ouvre soudain les yeux sur pourquoi j’ai TANT de mal avec tout ce que dit ma belle-mère (outre le fait qu’elle a des idées hyper traditionnelles): elle ne parle jamais d’elle, de ce qu’elle pense, de ce qu’elle souhaite, de ce qu’elle voudrait. Elle commence toutes ses phrases avec des affirmations péremptoires et injustifiées: « il faut » « c’est comme ça que » « les gens doivent » « les parents font ceci/cela » et n’est jamais capable de citer de source crédible. Je parle bien sûr ici de ses « conseils » non-souhaités sur l’éducation. Mon mari me dit toujours qu’elle a un problème avec l’acceptation de ses propres sentiments (c’est vrai) mais je crois que ça va au delà…
Quant à la notion de respect, je me souviens bien dire, enfant et ados à mes parents « vous ne me respectez pas » et me prendre en retour de manivelle « on a pas à te respecter, c’est toi l’enfant, TU nous dois le respect ». Ta théorie sur le respect confondu avec l’obéissance était très vraie dans le cas de ma famille!
Les exemples que tu donnes, c’est ce que j’ai fait avec mes élèves de collège. Un « j’ai besoin que chacun s’écoute pour pouvoir bien enseigner le cours » marche tellement mieux que « taisez-vous »!
Merci Aurore de ton commentaire.
Oui, c’est une réflexion intéressante, et j’ai noté comment, une fois qu’on en prend conscience, notre regard sur certaines réflexions peut changer.
Ton exemple avec tes élèves est parlant. Tu seras probablement intéressée par mon exposé d’un outil de discipline positive dans la classe quand je prendrai le temps de l’écrire !