Harcèlement scolaire et humour : quand la blague devient une arme sociale

Difficile de voir l’humour comme quelque chose de négatif… L’humour, c’est plutôt une qualité : non seulement parce que c’est un mot qui évoque immédiatement le sourire, la joie, mais aussi parce que c’est un atout social !
L’humour rapproche, crée du lien, détend. Que du bon !
D’ailleurs, si l’humour est de mauvais goût, on en conclura que « ce n’est pas drôle », et donc… on ne parle plus d’humour.
Aussi simple que cela.

Sauf que… sauf qu’on ne rit pas tous des mêmes choses. Donc… ça peut effectivement être de l’humour pour certains… et pas pour d’autres. Et voilà comment, dans certaines situations, notamment à l’école et au collège, l’humour peut avoir un côté sombre. Il devient alors un outil de moquerie, de mise à l’écart, voire une arme de harcèlement scolaire.

C’est ce que met en lumière le travail de Lucie Tamarelle, doctorante en psychologie, qui consacre sa thèse à la question de l’humour dans le harcèlement scolaire.

Dans le cadre de la 2e édition du Sommet du Harcèlement scolaire, elle partage ses recherches et explique pourquoi les “blagues” entre élèves ne sont pas toujours anodines.

Popularité vs appréciation : une distinction clé dans le harcèlement scolaire

L’une des idées fortes de son intervention est la différence entre être apprécié et être populaire.

  • Être apprécié, c’est être aimé pour sa gentillesse, son attention aux autres, sa bienveillance.
  • Être populaire, c’est rechercher visibilité et pouvoir. Cela suppose d’occuper une position dominante dans le groupe, parfois en clivant.

Or, au collège, environ 10 à 15 % des élèves sont en quête de popularité.
Et les recherches de Lucie Tamarelle montrent un lien direct entre cette quête et des comportements agressifs.

En d’autres termes : plus un adolescent cherche à être populaire, plus il risque d’adopter des conduites qui alimentent le harcèlement scolaire – et l’humour moqueur devient alors une stratégie privilégiée.

Humour et harcèlement scolaire : une stratégie de domination

Pourquoi l’humour est-il si présent dans les situations de harcèlement scolaire ?

Parce qu’il cumule deux fonctions puissantes :

  1. Il peut blesser et rabaisser la victime.
  2. Il valorise le harceleur, qui apparaît drôle, spirituel, visible.

La moquerie est ainsi l’une des formes les plus répandues de harcèlement scolaire. Contrairement à une insulte frontale, elle passe pour une blague et devient difficile à dénoncer.

Combien de fois, lorsque la victime se plaint de la blague, il reçoit simplement un :
« Ça va, c’était pour rire ! » ou « T’as pas d’humour… »

Oh… l’insulte suprème..

Alors, on fait semblant de rire, pour ne pas passer pour celui qui n’a pas d’humour… et la situation s’installe.

Cette phrase « c’était pour rire » remplit en fait deux fonctions :

  • Protéger le harceleur en minimisant la portée de son acte.
  • Entretenir une ambivalence sociale : le groupe rit, la victime souffre, et le harceleur s’en sort en invoquant l’humour.

Dans ce contexte, l’humour n’est pas innocent. Il devient un outil de domination sociale qui permet au harceleur de renforcer sa popularité tout en échappant aux reproches.

Victimes de harcèlement scolaire : comprendre le rôle de l’humour

Pour les victimes, comprendre ce mécanisme est essentiel.

Être visé par une “blague” ne veut pas dire avoir fait quelque chose de mal. Cela ne dit rien de la valeur de la victime, mais beaucoup de la stratégie de celui qui cherche à dominer.

Les adolescents qui utilisent l’humour de manière blessante savent très bien manier les codes sociaux. Ils maîtrisent l’art de la moquerie, choisissent le moment, le public, et utilisent la dynamique de groupe pour asseoir leur pouvoir.

Mettre des mots sur cette mécanique permet aux victimes de désamorcer la culpabilité et de réaliser que la blague n’était pas “juste pour rire” : elle servait un objectif de domination.

Primaire vs collège : deux réalités dans le harcèlement scolaire

Lucie Tamarelle distingue également l’usage de l’humour selon l’âge.

  • À l’école primaire, les situations de harcèlement scolaire existent, mais elles reposent moins sur des stratégies sociales complexes.
  • Au collège, en revanche, la quête de popularité devient centrale. Entre 12 et 15 ans, les adolescents utilisent l’humour comme un outil stratégique de pouvoir, pour exister et s’imposer dans le groupe.

Le passage du primaire au collège marque donc une évolution importante : le harcèlement scolaire par l’humour se structure et devient plus calculé.

De la 6e à la 3e : une progression dans la perception de l’humour

Un autre point marquant est la différence entre la 6e et la 3e.

En 6e, les élèves rient de l’humour sans toujours percevoir son ambivalence. Ils voient surtout le côté “drôle”, sans réfléchir à l’impact que cela peut avoir sur l’autre.

En 3e, la conscience de cette ambivalence est plus forte. Les adolescents savent qu’une blague peut être blessante, mais certains l’utilisent malgré tout, voire s’en servent de manière encore plus stratégique.
L’argument du « c’était pour rire » devient alors une arme de plus dans leur jeu social.

Cette évolution montre que l’usage de l’humour dans le harcèlement scolaire est appris et perfectionné au fil des années de collège.

Sanctionner un harceleur : un risque de renforcer sa popularité

Qu’on soit clair : je crois qu’on ne le répète jamais assez, sanctionner un harceleur n’est pas efficace, dans la plupart des cas. Oh… on peut trouver des contre-exemples, mais la littérature présente plus de cas où la sanction aggrave les choses.

Cela s’explique par plusieurs raisons, dont celles du ressentiment de l’intimidateur.

Mais si on en reste à la question de la popularité : on pourrait croire qu’en sanctionnant un harceleur, on réduit son influence.
En fait, Lucie Tamarelle souligne que dans certains cas, la sanction peut augmenter la popularité du harceleur.
Être perçu comme celui qui défie l’autorité, qui “ose”, peut renforcer son statut auprès du groupe.

Cela met en évidence la complexité de la lutte contre le harcèlement scolaire.
Plutôt que de punir ou sanctionner, il s’agit de travailler sur les dynamiques sociales qui valorisent certains comportements.

Nous en avions un peu parlé lorsque je vous présentais les méthodes de lutte contre le harcèlement scolaire en général.

Quelles pistes pour agir face au harcèlement scolaire par l’humour ?

Pour prolonger un peu cette analyse, j’ai envie de proposer ces quelques pistes :

  • Sensibiliser les enfants et adolescents à l’ambivalence de l’humour : ce qui fait rire certains peut en faire souffrir d’autres.
  • Donner la parole aux personnes cibles, pour qu’elles puissent exprimer l’effet réel des moqueries.
  • Valoriser d’autres formes de reconnaissance : montrer que l’on peut être apprécié et reconnu sans passer par la domination.

Ces pistes ne résolvent pas tout, mais elles ouvrent la voie à une éducation au vivre ensemble qui dépasse la simple logique punitive.

Pour aller plus loin

Cet article ne fait qu’effleurer la richesse des propos de Lucie Tamarelle. Ses analyses montrent combien l’humour, loin d’être anodin, joue un rôle central dans certaines formes de harcèlement scolaire.

👉🏻 Pour découvrir son intervention complète et approfondir ces réflexions, vous pouvez retrouver toute son intervention dans la 2e édition du Sommet du Harcèlement scolaire :
https://sommets.les6doigtsdelamain.com/inscription-sommet-harcelement-2025

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4 réponses
  1. Noureddy
    Noureddy dit :

    Merci beaucoup Coralie pour avoir mis ce sujet sur la table !

    De ce que j’ai vu par le passé, les parents peuvent avoir tendance à minimiser les propos du harcelé quand il vient se plaindre. « Il y a pire », « c’est ça qui t’embête ? », « c’est rien par rapport au monde adulte », « il rigole. Ne le prends pas personnellement », etc.

    J’ai bien aimé le paragraphe concernant la perception de l’enfant du harcèlement dépendamment de son niveau scolaire.

    Répondre
    • Coralie
      Coralie dit :

      merci de ce commentaire. C’est vrai que la manière dont les propos sont reçus par les adultes (parents ou personnel éducatif) est parfois diminuante.. Ce qui accentue le sentiment de ne pas être compris / entendu / respecté, ou qui provoque une mise en doute : « est-ce que c’est moi qui malfonctionne ? »
      Ca vaudrait un autre article sur ce point !

      Répondre
  2. baseball bros io
    baseball bros io dit :

    Ah, lart subtil de la blague au collège ! Larticle lexplique parfaitement : rire pour dominer, rire pour ne pas être jugé. Cest dingue comme jeu de pouvoir, ce ça va, cétait pour rire qui vire au harcèlement à la fin. Mais制裁 (sanction) ? Pfff, cest souvent contre-productif, ça peut même augmenter la popularité du malin ! On finit par comprendre que lhumour nest pas toujours innocent et que la victime a raison de se plaindre. La clé, cest de déculpabiliser les victimes et de montrer que rire nest pas tout. Sinon, on continue ce cirque social où lhumour devient un arme redoutable… et plutôt ennuyeux.

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    • Coralie
      Coralie dit :

      C’est vrai que c’est dingue comme jeu de pouvoir… j’ai l’espoir que peu à peu les choses évoluent. C’est le cas au niveau sociétal : certaines blagues ne sont plus admises. Alors, c’est que peu à peu on donne un autre modèle à nos jeunes également !

      Répondre

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